Jacques Dupin

 

Le grésil

 

 

 

Mai 1996

128 pages, 18,29 €

ISBN : 2-86744-512-4

 

 

 

Depuis 1950 avec Cendrier du voyage Jacques Dupin, ne cesse d’édifier son œuvre. En 1963 Gravir rassemble ses premiers livres écrits en collaboration avec des sculpteurs et des peintres comme Giacometti, Masson ou Miró. Jacques Dupin est aussi l’auteur de nombreux essais sur des artistes contemporains. C’est aujourd’hui une quinzaine de recueils de poèmes qui édifient son œuvre parmi lesquels – Dehors, Les Mères, Rien encore tout déjà, Échancré – jusqu’à ce livre Le grésil paru aux éditions P.O.L en 1996.

 

 

 

Les 70 poèmes de ce livre répartis en 7 parties semblent trouver un écho de la symbolique du sept dans un des vers :

/  le boitillement/du quatre/et du trois/fasse tourner la roue du sept.

Le quatre mars quatre-vingt-treize annonça un premier printemps…

 

Nuit du logos. Nuit de la couleur

 

Le Grésil n’a pour projet peut-être que de matérialiser ce qui s’échappe de l’être et s’évanouit de l’autre côté de la vie apparente, sur le versant froid  de ses ombres. Il évalue, il rassemble, il nomme, il classe les protagonistes de l’invisible : l’expérience du corps, le souffle froid ou tiède de la voix intérieure, l’Inspiratrice, l’Acte d’écrire, la mort…

Comme un ambassadeur du — monde muet — qu’il est, Jacques Dupin parlemente avec tous ses émissaires. Nous le suivons à pas serrés. Le passé, blessé ; Le vide qu’il ressent par-delà la mécanique humaine ; la finitude de la vie qu’en chien de fusil il pressent depuis le plus jeune âge :

 

dans la tentation de vivre/dans la confusion d’un cercueil/immergé – et de son double : un berceau soulevé dans l’air

 

Se dénuder à couvert

 

C’est dans cet univers que Jacques Dupin recherche toutes les opportunités de pénétrer le feu interne de son être. Ici, les paysages, les pierres, les sentiers, la mer cohabitent avec le souffle, la respiration, les lèvres, la voix. C’est dans cette géographie, où

                                  Chaque chose étant/qui tu es,

que le poète se déplace de l’un à l’autre de son être pour mieux considérer – l’ombre — portée sur ses pas du lieu éloigné de l’enfance. Une blessure refermée sur soi-même que la parole panse à la lumière d’aujourd’hui.

La langue de Jacques Dupin est l’expression d’un combat continuel. Le « Je », « Nous », « T’ » et « l’Autre » se confondent dans ce singulier combat dont l’enjeu ne serait que celui de se –/dénuder à couvert –, le désir de l’impossible vivre. Obsessions sans reniements, tourments sans renoncements pourraient esquisser le chemin escarpé où progresse le poète.

 

Blancs, bornes

 

Les blancs marquent une respiration, nombreux ils assurent l’avancée à pas mesurés. Mais Ils sont aussi ruptures, scissions de l’être, l’un et l’autre du même être qui écrit, tente de vivre. Ils sont peut-être aussi les bornes – immaculées — d’une marche à rebours dans la nuit. Un parcours de retour vers soi, périlleux, au plus près des racines. Et non loin de celles-ci, ne sont-ils que le signe d’une plaie refermée vive, blanche, diaphane : stigmates à mesure plus visibles sur le corps qui avance.

 

 

Paysage, visage

 

Jacques Dupin tente d’élaguer, d’éclaircir les paysages qu’il traverse. Mais dans sa progression il semble qu’une fois nommée, la chose dite s’efface, et se transforme en une autre représentation.

 

Le poète – il n’existe pas –/ est celui qui change/de sexe comme de chemise

 

L’approche de l’autre et de soi, les deux blocs du même être, rassemble les univers mais les mots même, que le désir appelle, se détruisent sitôt créés. Tout semble procéder de la réunion soudaine de pôles opposés d’où jaillirait un cataclysme :

                                  Je suis sans identité

Lorsque la voix nomme, sans doute ce qui est innommable, pas illisible mais invivable, la mémoire se dérobe tel un fusible qui permettrait au corps de survivre et de poursuivre sa route.

 

Le corps nacelle

 

Celui-là n’emporte pas vers les cieux bleus d’un ciel paisible mais vers les limites de sa finitude. Le corps – où malgré soi – se prépare dans la coulisse, bruyante machinerie, la représentation, les limites du possible, les éventualités et le presque probable.

De cette précaire situation du corps subsistent :

« beaucoup d’ombre/quelques pierres/écrites dans le soleil »

 

Quelques pierres – précieuses – pour qui attribue valeur à ce minerai que le poète extrait au plus près de ses racines. Et si l’on croit Francis Ponge, dans un court texte inscrit en exergue de ce livre Jacques Dupin est près d’être sauvé.